Le navigateur en solitaire Conrad Humphreys partage les leçons apprises durant le Vendée Globe 2004-05 

C’est le premier soir que ça m’a vraiment frappé. J’avais pris un bon départ, j’étais dans les dix premiers à contourner la dernière balise au large des Sables d’Olonne et je faisais route vers Cape Finisterre à toute vitesse. Je me suis soudainement retrouvé en larmes, sanglotant de manière irrationnelle, me sentant bouleversé après les évènements de la journée. Vous voyez, je venais juste de dire au revoir à ma famille et à mes proches avant d’être remorqué hors du port où des milliers de personnes alignées sur la jetée étaient venues me dire « au revoir ». Maintenant, isolé dans mon petit bateau, je me suis soudainement senti très seul. Je me retrouvais face à trois mois d’isolement. Désormais, je n’aurais plus qu’une communication téléphonique par jour avec mon équipe à terre et avec Vikki, ma femme. Le règlement du Vendée Globe, la plus prestigieuse course à la voile, est intransigeant – aucune aide extérieure, aucune escale, tout seul.

Lorsqu’on me demande si j’apprécie l’isolement de la course en solitaire, je réponds toujours affirmativement, mais seulement si je suis soutenu par une bonne équipe. Nous ne sommes pas des créatures solitaires, la plupart des gens ne peuvent pas imaginer vivre une période de leur vie sans contact journalier et les navigateurs en solitaire non plus. C’est probablement la raison pour laquelle il y a seulement onze marins britanniques qui ont achevé le Vendée Globe.

Beaucoup de gens pensent que les navigateurs en solitaire doivent posséder une force mentale incroyable. En réalité, nous ne sommes pas différents des autres. Si, aujourd’hui on considère les remarquables employés du NHS (le service de santé britannique), ce sont eux qui ont une résistance mentale hors du commun. Ceci grâce au travail en équipe où tout le monde joue son rôle et chacun puise sa force dans celle des autres.


Pendant le Vendée Globe, à 400 miles à l’ouest de Cape Town j’ai cassé un safran après être entré en collision avec un OFNI (objet flottant non identifié). Je pensais que la course était terminée pour moi. Au Royaume-Uni, mon équipe dirigée par Joff Brown pensait autrement. En travaillant à distance, ils ont imaginé une solution réalisable pour me garder dans la course. Ils m’ont donné la force de croire que je pouvais effectuer les réparations et rejoindre la course. Ne sous-estimez pas votre capacité à aider et à donner aux autres la confiance en eux qu’ils peuvent réussir.

Avant de casser le safran, et pendant la plus grande partie de ma descente de l’Atlantique, je me battais aussi contre une voix incessante dans ma tête qui évaluait mes actions en permanence, une voix souvent très critique. J’ai entendu dire que de nombreux athlètes en souffrent (ainsi que certaines personnes souffrant de maladies mentales). Cela peut avoir un effet positif et motivant, mais les gens qui sont isolés doivent aussi apprendre à faire l’éloge de leurs propres exploits et se féliciter. Si vous soutenez quelqu’un à distance, essayez d’imaginer ce qu’ils endurent. Un câlin virtuel peut être l’élément vital pour quelqu’un qui est coupé du monde.

Je plaisante souvent que pendant les 104 jours du Vendée Globe, j’ai parlé plus souvent à Vikki que pendant les dix dernières années passées ensemble. Ceci était dû en partie au fait que je n’avais pas les moyens d’employer un entraîneur dans notre équipe et que Vikki a tout naturellement endossé ce rôle. Comme vous pouvez l’imaginer, pendant une telle course il y a de nombreuses occasions durant lesquelles vous avez besoin de soutien émotionnel pour traverser les mauvais moments. Avoir quelqu’un qui peut compatir avec votre situation et partager le défi, mais il y a aussi des moments où vous avez besoin « d’un coup de pied au derrière ». Apprendre ce qui fait avancer les gens et comment ils réagissent face au stress est primordial pour les motiver.

Il est important de garder le contrôle ou vous tomberez dans un gouffre de désespoir, et plus vous tomberez bas plus vous aurez de difficultés à en ressortir. Ne vous inquiétez pas des choses qui sont hors de votre contrôle ou vous commencerez à vous sentir impuissant. Essayez de vous concentrer sur les choses que vous pouvez accomplir, si petites soient-elles, et récompensez vos progrès. N’oubliez pas qu’un éléphant, ça se mange une seule bouchée à la fois. La dernière semaine avant de terminer le Vendée Globe, mon générateur est tombé en panne et je n’avais aucun moyen de recharger les batteries pour alimenter l’électronique et le pilote automatique. J’ai essayé de maintenir le cap du bateau en équilibrant les voiles. Ceci a fonctionné pendant de courtes périodes de temps, mais j’étais incapable de dormir. Au milieu des vents légers et instables autour de l’anticyclone des Açores, le bateau ne pouvait pas garder le cap. Je me sentais impuissant et sans aucun contrôle, je tournais en rond. Finalement, j’ai affalé les voiles et j’ai dormi un peu. Quand je me suis réveillé, j’ai essayé à nouveau mais cette fois, j’ai pris deux longueurs d’élastique pour tenir la barre. Avec les idées claires, j’ai trouvé une solution et petit à petit, j’ai atteint la ligne d’arrivée aux Sables d’Olonne. Si vous vous trouvez dans une situation incontrôlable : dormez, mangez et essayez encore.

Pour les personnes qui vont se retrouver dans une période d’isolement, il n’y a aucune raison d’avoir peur, mais utilisez votre temps à faire du rangement dans votre maison et aussi dans votre tête. Soyez pointilleux et organisez ce dont vous aurez peut-être besoin. Assurez-vous que votre environnement est sûr et que vous ayez assez de provisions pour tenir plusieurs jours. Cela peut signifier que vous allez cuisiner quelques repas supplémentaires et remplir votre congélateur afin de ne pas avoir à fouiller dans vos fonds de placards pour trouver quelque chose de nourrissant pendant la crise. Reposez-vous beaucoup. Le sommeil peut aider à réduire le stress et vous permettra de garder les idées claires. J’entends encore dans ma tête ces conseils entendus au cours de certains jours sombres du Vendée Globe : « Quand as-tu dormi pour la dernière fois ? », « Qu’est-ce que tu as mangé aujourd’hui ? ».

Bonne chance et ne craignez pas l’isolement. Tout le monde devrait apprendre à être heureux, satisfait et confiant, même seul. Cela vous aidera à surmonter de plus gros défis et vous fera apprécier et aimer encore plus les choses que vous possédez.

Ma check-list pour faire face à l’isolement :

  1. Construisez autour de vous un réseau solide d’amis.
  2. Apprenez à vous faire des éloges.
  3. Ayez de l’empathie pour les autres et communiquer tous les jours.
  4. Concentrez-vous sur les choses que vous pouvez contrôler.
  5. Rendez votre environnement sûr.
  6. Préparez-vous méticuleusement.
  7. Reposez-vous beaucoup.
  8. N’ayez pas peur de l’isolement.

Conrad Humphreys est un conférencier émérite avec plus de vingt ans d’expérience en tant que marin professionnel. Si vous êtes en quête d’inspiration, de motivation ou de conseils dans le domaine du travail à distance ou dans l’isolement, pour vous-même ou vos employés, veuillez me contacter pour plus d’information. Les séances peuvent être disséminées sous forme de webinaires en groupe ou d’appels privés. Pour toutes informations complémentaires contactez-moi via : conrad@sportenvironment.com / +44 (0)7720287674 

Conrad rédige régulièrement des articles et des blogs sur l’impact du leadership au travail et sur les individus – pour plus de renseignement, veuillez visiter www.conradhumphreys.com/blog.